Psychologie Légale

J’effectue des expertises psychologiques depuis une vingtaine d’années et cette pratique m’a beaucoup apporté pour comprendre les patients de tous âges et situations. En effet elle permet d’affiner ses aptitudes cliniques car le temps de rencontre est limité et d’accroître sa tolérance et son acceptation de l’autre dans ses différences (songer à une personne condamnée pour pédophilie ou violence sur son bébé). Il s’agit bien sûr d’accepter la personne et en aucun cas ses actes.

La psychologie légale se comprend dans un contexte qui n’est pas celui de la santé mais de la justice, même s’il existe un lien entre les deux, car victime comme auteur peuvent être considérés aussi sous l’angle de la souffrance. 

Les différentes expertises

Les expertises sont de nature différente suivant leur cadre juridique. Dans la justice pénale il existe des auteurs et des victimes et l’expertise sert à comprendre ces deux personnes, en gros les motivations de l’auteur, l’impact sur la victime. Pendant la partie de l’enquête, auteur et victime sont présumées et l’expertise sert parfois à rendre compte de la nature de la plainte, notamment chez les enfants (question de la parole de l’enfant en rapport à la vérité judiciaire).

 

Dans la justice civile, essentiellement celle du Tribunal pour Enfants et aux affaires familiales, l’expertise est centrée le plus souvent sur l’intérêt de l’enfant, notion juridique très délicate et difficile à transcrire en terme psychologique. Ainsi le Juge des enfants utilise les expertises psychologiques (mais pas uniquement) pour fonder sa décision de placement ou de retour en famille. D’où les questions concernant d’éventuelles pathologies chez les parents et leurs capacités parentales.

 

Les Juges aux affaires familiales interviennent dans les situations de conflit, notamment quand il y a des enfants, qui sont alors un enjeu pour les protagonistes. Le JAF demande à l’expert de se prononcer sur la personnalité des parents et sur leurs capacités parentales, et de faire des propositions sur les modalités de droit de visite et d’hébergement.

Les problèmes que posent les expertises

Les méthodes d’expertise psychologiques sont centrées sur l’efficacité de l’évaluation en rapport aux questions posées par les Juges ou les enquêteurs. Il s’agit donc d’utiliser des tests de niveau intellectuel, de personnalité ou encore de détérioration mentale qui sont fiables tout en demeurant rapides (vu la faible rémunération de l’expertise pénale), en plus de données produites dans l’entretien.

 

Toutefois la question du lien entre les données psychologiques et le comportement des personnes est centrale. Ainsi par exemple cette mère dont le diagnostic mène à la schizophrénie, comment sera-t-elle affectée dans sa fonction parentale ? La violence de cet homme dans le cadre conjugal est-elle réductible au diagnostic de paranoïa. Cette femme dont l’évaluation cognitive conduit à faire l’hypothèse de « déficience mentale » pourrait-elle être une mère et à quelles conditions.

 

La criminologie qui étudie l’origine des conduites délinquantes et criminelles met en garde contre une « psychologisation » de ces conduites qui apparaissent le plus souvent plurifactorielles. L’apport de l’expert psychologue ne doit pas être prépondérant mais participer à la compréhension des faits examinés avec d’autres experts.

 

De plus il existe la tentation « Minority report », c’est-à-dire de prétendre prédire les conduites criminelles et les psychologues sont souvent envisagés comme pouvant y parvenir, comme en témoigne leur « convocation » dans la lutte contre la radicalisation. Certains d’entre nous peuvent d’ailleurs succomber à cette tentation, financements et prestige obligent.

 

Certes nous pouvons être utiles mais à mon avis, pas plus que les religieux, les sociologues ou les policiers et d’ailleurs est-ce vraiment notre rôle, à moins de considérer que nous devons déserter l’assistance à la souffrance de l’autre au profit de l’intervention préventive comportementale dans le champ social.

 

Ce qui pourrait me déranger le plus dans l’expertise psychologique est le cadre conceptuel dans lequel la justice et les questions posées à l’expert tendrait à le cantonner. Il y aurait donc une réalité intrapsychique que nous pourrions décoder avec nos outils et qui serait explicative de comportements criminels.

 

 Mon cadre de référence préféré, celui de la systémie, ne « colle » pas avec cette vision. Certes il y a bien des caractéristiques psychologiques individuelles, mais elles sont actualisées dans les contextes particuliers mettant en jeu les relations aux autres.

 

Aussi le contexte d’expertise est-il particulièrement puissant pour produire des paroles et des actes qui « disent » autant du positionnement relationnel que des caractéristiques du sujet. Il convient d’être particulièrement prudent et de ne pas « instruire ni à charge, ni à décharge d’ailleurs ». Ainsi par exemple une personne est mise en examen pour viol sur mineur et l’expertise fait apparaître qu’elle dit n’avoir rien fait de cela.

 

Les mécanismes de défenses des personnes pédophiles sont souvent décrits comme centrés autour du déni et du clivage. On pourrait conclure trop vite qu’une personne s’affirmant innocente d’un viol sur mineur est dans un déni, signe clinique d’une tendance à la pédophilie.

 

 Aussi on peut imaginer qu’une expertise psychologique avec un sujet qui ne reconnaît pas les faits pour lesquels il est mis en cause est assez décevante pour un magistrat demandeur, à moins de considérer, comme plusieurs études le montrent, que certaines pathologies mentales sont des facteurs de risque pour des conduites criminelles.

Les outils et méthodes dans les expertises

L’entretien et les tests sont les outils importants de l’expertise. Les méthodes d’entretien sont diverses. J’ai remarqué que certains experts utilisaient la provocation avec une position haute pour faire réagir l’auteur présumé, tandis que d’autre prennent une position « douce » et cherche à obtenir la confiance de l’auteur.

Il faut aussi considérer l’influence du jugement sous-jacent envers l’auteur au travers de son incrimination pénale, car on ne peut prétendre à une neutralité tout au plus à une tolérance permettant une certaine objectivité au travers de la conscience des biais de jugement.

Pour ce qui est de victimes, il est intéressant de considérer l’influence des questions posées par la justice, crédibilité ou pire encore question sur le fait que la victime soit en capacité de se défendre, symptômes post traumatiques, tout cela crée une « mise en forme » du cadre de l’expertise dont il faut pouvoir se libérer au moins partiellement, pour élargir le regard et écouter véritablement l’autre.

Les entretiens dans l’expertise civile, aux affaires familiales sont au risque de prendre parti pour la femme ou l’homme et on doit garder la boussole de la compréhension de l’autre, du couple et de la famille. La place des enfants est très délicate dans ce dispositif où l’enfant présent avec chaque parent se retrouve activé dans sa relation directe (par exemple le rejet ou le rapprochement du père) mais aussi avec la relation de loyauté à l’autre parent (discours issu de ce que la mère lui avait dit de dire), puisque il est la plupart du temps un enjeu du déchirement.

Dans les expertises civiles pour le Juge des enfants notamment autour des décisions de placement ou de retour chez les parents, la formulation des questions affirme déjà un cadre contraignant pour l’expert. Ainsi l’expertise des parents seuls rabat la question du lien sur la seule « normalité » de la personnalité et des « capacités éducatives en soi » sans envisager l’examen des relations en direct des protagonistes. 

Dans ces expertises la pratique familiale est importante avec une souplesse quant au format, passant de l’individuel, au duo, ou groupe complet.

Les tests sont utiles mais pas indispensables comme l’entretien. Ils permettent de répondre assez précisément à certaines questions comme le niveau d’intelligence, la présence d’une détérioration mentale. L’outil doit pour moi être simple, rapide, généraliste et adaptable suivant les particularités (exemple la dyslexie). 

Aussi je plébiscite le test des matrices de Raven (SPM 38) qui est non verbal, culture free et prend un peu plus d’une demi-heure. On peut lui adjoindre le test de vocabulaire de Mill Hill. Pour ce qui est de la détérioration mentale on peut se contenter du MMS de Folstein qui est assez varié et pas trop long, avec l’entretien on doit arriver à ne pas se tromper et cela est utile pour les abus de faiblesse.

Pour les enfants le test du bonhomme est très intéressant pourvu que l’enfant aime dessiner. Les normes proposées par le Professeur Baldy sont récentes et très utiles mais le SPM 38 est également utilisable dès 7 ans.

Pour ce qui est de la personnalité le test de Rorschach est intéressant mais si l’on veut être rigoureux il faudrait utiliser la cotation Exner mais on peut l’utiliser tel quel avec une analyse de contenu. Le MMPI 2 est très intéressant surtout dans sa forme simplifiée dite 2RF. Certes il est un peu long avec ses 338 questions mais je suis souvent étonné des informations obtenues surtout avec des auteurs présumés. Enfin le TAT est bien mais il faut un sujet avec des capacités de mentalisation car l’analyse est basée sur les qualités du récit.

Pour les enfants, le test de Patte Noire est épatant et convient à la plupart des enfants, mais relativement jeunes, on peut aller jusqu’à 9 ans. Le test de Rorschach fonctionne aussi assez bien avec les enfants. Enfin ne pas oublier le dessin, notamment celui de la famille qui est souvent parlant. A j’allais oublier aussi le test des contes avec les normes proposées par De Tychey qui a été l’un de mes professeurs mais je ne l’appréciais pas.

On peut aussi rappeler quelques inventaires comme celui de Hare pour les psychopathes, ou encore l’échelle de retentissement psychologique (CNPSY).

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